Poésie

La tombe du poète Hafez (14e siècle), à Shiraz. Photographie : ©Patrick Ringgenberg.

La poésie fut centrale dans l’Iran préislamique, mais, essentiellement orale, elle ne nous est parvenue qu’à travers de rares textes, comme les gathas dans l’Avesta, texte sacré majeur des zoroastriens. Devenu terre d’Islam au 7e siècle, l’Iran va devenir un paradis de la poésie, qui va être écrite, mais surtout chantée et transmise de cœur à cœur. Toujours vivante, elle est, pour les Iraniens, la langue universelle qui embellit le monde, révèle l’essence de l’âme, efface les distinctions sociales, vivifie chaque jour une mémoire culturelle.

 

Dans l’Orient islamisé, où la langue arabe s’impose dans tous les domaines (religieux, politique, administratif, scientifique), la langue et la culture persanes doivent à des poètes son renouveau : Rudaki (v. 880-v. 941), considéré comme le premier grand poète persan, et surtout Ferdowsi (v. 940-1019/25), né et mort à Tus, non loin de l’actuelle Mashhad. Dans son épopée du Livre des rois (Shahnameh), Ferdowsi raconte en près de 50’000 distiques la succession des rois et des héros, mythiques ou historiques, depuis la création du monde jusqu’à la conquête arabe. En des vers à la majesté dense, il a ranimé le persan en lui donnant une force pérenne. Plus même : il a donné un sens à l’Histoire, remis le passé au présent et contribué, à sa manière, à iraniser l’islam, en nourrissant la conscience collective d’un Iran de gloire et de sagesse immémoriale.

La tombe du poète Ferdowsi, Tus (Mashhad), 1934. Photographie : ©Patrick Ringgenberg.

Peinture sur livre (illustration de Khosrow et Shirin de Nezami), Shiraz, 15e siècle. Photographie : ©Patrick Ringgenberg.

Quelques décennies plus tard, deux poètes, Naser-e Khosrow (1004-v. 1072) et Sana’i (mort vers 1130), vont initier une nouvelle voie de la poésie : la mystique. Jusqu’à la fin du 15e siècle, qui marque le terme d’un cycle littéraire dit classique, les poètes vont se succéder, s’illustrant dans différents genres : épopée, poème mystique, poème courtois. Du 11e siècle à nos jours, la poésie mystique demeure, pour les Iraniens, leur voix la plus intime, leur conscience d’être : tous les grands poètes classiques se rattacheront, à des degrés divers, à une telle orientation spirituelle, et c’est grâce à la diffusion séculaire de leurs œuvres, dans toutes les couches sociales, que les Iraniens, aujourd’hui, tendent volontiers à une spiritualité (chiite) imprégnée de soufisme et de mystique (‘erfan). Les grandes œuvres poétiques, principalement l’épopée de Ferdowsi et les romans versifiés de Nezami, ont également inspiré la création de splendides manuscrits illustrés, principalement entre la fin du 13e siècle et le 17e siècle, nourrissant une esthétique sophistiquée et contemplative, saturée de symbolisme.

Nezami (1141-1209) est connu pour cinq romans versifiés, réunis sous le titre de Khamseh, conçus comme des miroirs initiatiques, truffés de symboles hermétiques et astrologiques : un texte mystique (Makhzan ol-asrar), des récits d’amour (Khosrow o Shirin, Leyli o Majnun et Haft peykar, son chef-d’œuvre), un Eskandar-nameh, racontant la geste légendaire et sapientielle d’Alexandre le Grand. À Omar Khayyam (v. 1048-v. 1132), astronome et mathématicien, on attribue des quatrains (rubai’yat), oscillant entre carpe diem, agnosticisme, stoïcisme et soufisme. Mort à Neyshabur lors de l’invasion mongole qui ravage tout l’Orient, ‘Attar (v. 1145/46-1221) est célèbre pour ses mathnawi mystiques (comme le Cantique des oiseaux), qui racontent le voyage spirituel de l’âme vers Dieu. Rumi ou Mowlana (1207-1273), à l’origine de la confrérie des Mevlevis ou « Derviches tourneurs », est l’auteur du Mathnawi, un fleuve de contes surnommé le « Coran persan », et de milliers de poèmes dédiés à son maître Shams de Tabriz. Grand voyageur, Sa’di (v. 1210-v. 1291 ou 1292) retourna à Shiraz, sa ville natale, vers la fin de sa vie, et y écrivit deux livres (le Bustan et le Golestan) et un divan. Dans une langue qui coule de source, il a servi un soufisme sociable et un moralisme spirituel, destinant le classicisme de la langue à l’évidence d’une sagesse. Dans cette même ville de Shiraz, connue pour être un haut lieu du soufisme, Hafez (v. 1315/17 ou 1325-v. 1390) fut un maître insurpassé du ghazal ou poème lyrique amoureux. Synthèse miraculeuse d’idées mystiques, d’un génie poétique et d’un sens transcendant de la langue, son divan a définitivement uni la profondeur du fond à une perfection de la forme. Hafez demeure le poète le plus par les Iraniens, son recueil poétique étant même utilisé comme une source d’oracles (fal). Maître soufi, brillant à la cour timouride de Herat, Jami (1414-1492) est le dernier grand poète classique, auteur de poèmes, de romans versifiés et de traités métaphysiques.

Tout voyage en Iran – et il suffit de passer par Shiraz – vous mettra en contact avec la poésie persane, mais nous aimons également tracer des itinéraires spécialement dédiés aux poètes iraniens, accompagnés de spécialistes de la littérature.

Le mausolée de ‘Attar à Neyshabur. Photographie : ©Patrick Ringgenberg.